Ecriture : entre méfiance socratique et impératif historique

Publié le 21 décembre 2023 à 20:05

L’Écriture : Entre Méfiance Socratique et Impératif Historique

Dans le “Phèdre” de Platon, une ancienne histoire égyptienne est évoquée, illustrant une confrontation entre le dieu Thoth, souvent crédité de l’invention de nombreux arts et sciences, et le grand roi Thamous d’Égypte. Thoth, fier de ses réalisations, se présente devant Thamous pour lui montrer ses inventions, en particulier l’écriture, qu’il considère comme un élixir de mémoire et de sagesse. Il espère que cette nouvelle compétence sera diffusée parmi les Égyptiens pour leur profit.

Cependant, le roi Thamous ne partage pas cet enthousiasme. Au lieu de voir l’écriture comme un cadeau, il la perçoit comme un moyen déguisé qui pourrait nuire plutôt que de bénéficier à l’humanité. Thamous argumente que l’écriture n’encouragerait pas la véritable sagesse ou la mémoire, mais créerait seulement une illusion de connaissances. Les gens, pensant qu’ils possèdent le savoir en écrivant ou en lisant, négligeraient la véritable réflexion et la profondeur de compréhension. Il soutient que l’écriture affaiblirait la mémoire, car les individus se reposeraient sur des textes externes plutôt que de cultiver la capacité de se souvenir et de comprendre de manière interne.

Socrate, à travers l’œuvre de son disciple Platon, a exprimé une profonde méfiance envers l’écriture. Pour lui, elle était une menace pour la mémoire, offrant une illusion de sagesse sans la véritable compréhension. Dans le dialogue entre Thamous et Thoth, l’écriture est dépeinte comme un simple aide-mémoire, incapable de défendre ou d’expliquer ses propres idées, contrairement à la parole vivante.

Pourtant, en dépit des inquiétudes de Socrate, l’écriture a prouvé être l’un des plus grands outils de préservation de la connaissance pour l’humanité. C’est précisément cette capacité à consigner les idées, les événements et les connaissances qui a permis aux générations futures d’apprendre, de comprendre et de bâtir sur les fondations du passé.

L’histoire, en tant que discipline, illustre parfaitement cette dichotomie. Sans l’écriture, les événements du passé seraient relégués aux confins fragiles de la mémoire collective, soumis à l’érosion par le temps et la variabilité de la tradition orale. Ils perdraient, de fait, toute leur objectivité. Les textes historiques servent de témoins muets mais persistants de périodes révolues, permettant une exploration, une analyse et une interprétation continue.

De plus, alors que la parole peut être engageante et dynamique, elle est éphémère. L’écriture, en revanche, résiste à l’épreuve du temps, transmettant des idées, des valeurs et des événements à travers les siècles. Dans ce sens, l’écriture ne se contente pas de fournir une “apparence de sagesse”, comme le craignait Socrate, mais sert de pont entre les générations, permettant à l’humanité de bénéficier du savoir et des expériences du passé, malgré, le plus souvent, une barrière linguistique difficilement franchissable. 

Bien que les préoccupations de Socrate concernant l’écriture aient une certaine validité, notamment dans la manière dont nous nous engageons avec la connaissance, il est indéniable qu’elle a joué un rôle essentiel dans la préservation et la transmission de la connaissance à travers les âges. En fin de compte, c’est grâce à l’écriture que nous sommes capables de dialoguer avec le passé, d’apprendre de lui et d’orienter notre avenir.

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.

Créez votre propre site internet avec Webador